Alerte rouge aux coraux blancs

Mis à jour le 17/11/2023

En septembre, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a placé en alerte maximale les récifs coralliens de Guadeloupe et plus largement du nord des Antilles, pour «blanchissement sévère et risque de mortalité probable». L’archipel est touché par un exceptionnel blanchissement des coraux, phénomène qui survient lors d’un épisode prolongé d’augmentation de la température de l’eau. Une menace de mort pèse sur nos récifs coralliens !

Mi chalè pou kay an nou

Les coraux «subissent une dégradation accélérée en lien avec l’augmentation des températures de surface et l’acidification des océans, tout en étant déjà fragilisés par les perturbations humaines associées à la fréquentation des sites et aux pollutions diffuses», précisait l’Observatoire régional du climat de Guadeloupe dans un rapport datant de 2020.

« Avant la tempête Philippe, la température de l’eau avoisinait les 32°C. C’est 3 degrés de plus que le seuil acceptable pour la bonne santé des coraux. Certains coraux peuvent supporter le blanchissement et même se rétablir si ces conditions ne s’éternisent pas», indique Maïténa Jean, chef du service Patrimoines au Parc national de la Guadeloupe. Seule condition : que ces fortes chaleurs n’excèdent pas environ un mois. Au-delà, c’est la mort de la colonie si elles perdurent. C’est donc bien l’augmentation des températures qui explique le blanchissement constaté.

Chose plus étonnante : le suivi réalisé le 10 octobre dernier par le Parc national de la Guadeloupe a montré que les colonies d’Acropora prolifera et cervicorni blanchies sont déjà recouvertes d’un gazon algal qui les étouffe. C’est le triste signal que la majorité du récif ne pourra pas se remettre de cet épisode !

Dans un archipel où l’habitat est essentiellement sur la côte, la barrière de corail protège les populations en réduisant le risque de submersion. Elle représente aussi un véritable abri pour les poissons et participe à la préservation de la biodiversité. La protéger est donc un enjeu majeur pour le territoire.

La qualité de l’eau aussi en cause

La rapidité à laquelle les colonies ont été recouvertes par les algues interroge sur les raisons de la mortalité. Elle ne peut probablement pas être imputée au seul blanchissement, les colonies présentant déjà des signes de colonisation par les algues au mois d’août dernier. Il est donc probable qu’un épisode de pollution au nitrate et au phosphate ait précédé l’augmentation de température, provocant l’affaiblissement des colonies.

En juin 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a publié une évaluation des risques des substances chimiques sur les récifs coralliens. Ce rapport identifie une centaine de substances potentiellement toxiques pour les coraux. Parmi elles, plusieurs substances peuvent provenir du lessivage des sols (pesticides, hydrocarbures) ou d’un système d’assainissement inefficace (détergents, produits pharmaceutiques, nanoparticules). Cette pollution de l’eau causée notamment par la défaillance des systèmes d’assainissement donc avec des stations d’épuration dysfonctionnelles dont les rejets non-conformes viennent perturber le milieu naturel. Associées aux fortes températures de ces derniers temps, elles sont en grande partie responsables de ce phénomène de blanchissement.

80 % des coraux blanchis en 2005

Ce phénomène n’est pas récent ! Différents épisodes de blanchissement ont marqué nos récifs ces dernières décennies. D’abord en 1984 et en 1987 où 20 à 30% des colonies touchées sont mortes,puis en 1999 et enfin en 2005. Ce dernier épisode a entraîné le blanchissement de 80% des coraux et au cours de l’année 2006, on notait une diminution de 40 à 60 % du recouvrement corallien selon les sites. (source : Bouchon C. et Bouchon-Navaro Y., 2019).

« Le phénomène de 2023 est inquiétant parce que seul un certain nombre de coraux vont être capables de récupérer après un phénomène de blanchissement » explique Claude Bouchon, professeur émérite en biologie marine de l’Université des Antilles et membre du Conseil scientifique du Parc national de la Guadeloupe. « Il faut s’attendre à une mortalité retardée des coraux durant l’année 2024. L’archipel risque de perdre une partie importante de ses coraux. »

Cette nouvelle vague de blanchissement fait suite à deux ans de maladie corallienne qui avaient déjà fragilisé le récif. Depuis 2020, s’ajoutant à la douzaine de maladies déjà répertoriées, une maladie de «perte des tissus» (dite SCTLD pour « Stony coral tissue loss disease ») est observée en Guadeloupe. Documentée depuis 2014 en Floride, elle avait épargné l’archipel guadeloupéen jusqu’ici. Depuis, Yolande et Claude Bouchon ont caractérisé 7 292 colonies, avec une mortalité de 14%. Environ la moitié des espèces de coraux a été touchée par la maladie en Guadeloupe.Cette maladie épargnait les trois espèces d’acropores (coraux aux formes branchues) : Acropora palmata, A. cervicornis et A. prolifera.

Le Parc en action

En tant que gestionnaire de 10 cœurs marins (9 dans le Grand Cul-de-sac marin et 1 en Côte sous le vent) depuis 2009, le Parc national de la Guadeloupe réalise des suivis afin de mieux comprendre les récifs, documenter leur évolution et adapter les mesures de gestion depuis 2005. Parmi ces mesures figurent le suivi des communautés coralliennes, la pose de thermographes permettant d’enregistrer la température de l’eau et le suivi des communautés qui vivent au fond des mers. Le PNG agit également par la mise en défense de certaines zones : en janvier 2013, deux champs d’Acropora cervicornis et Acropora prolifera avaient été détectés dans le lagon de l’îlet Fajou, en cœur de Parc national. Protégées par arrêté ministériel, ces deux espèces font l’objet d’un suivi attentif depuis 2020.

Enfin, depuis le 1e juin 2023, le PNG a obtenu l’interdiction d’accès à ces zones afin d’encourager la conservation des colonies. La mise en place 168 bouées écologiques permettant l’amarrage des plaisanciers et des opérateurs touristiques et évitant le labourage des fonds participent à la protection de ces écosystèmes.

Lors de son conseil d’Administration du 26 juin 2023, le Parc national de la Guadeloupe a alerté ses membres sur la situation alarmante de la qualité de l’eau. Il entend jouer le rôle d’intermédiaire auprès des divers acteurs de l’assainissement en Guadeloupe, en proposant des zones de gestion prioritaire. Un courrier en ce sens a été adressé à la direction de la mer, la préfecture de la Guadeloupe ainsi qu’au SMGEAG, syndicat responsable de la gestion de l’assainissement sur le territoire.

Le Parc national de la Guadeloupe porte un projet sur la « Caractérisation et réduction des impacts des activités touristiques et sportives dans le cœur de parc des îlets Pigeon ». Ce projet vise à favoriser la résilience des récifs coralliens afin de contribuer à ralentir leur décroissance. Il fait partie des 10 lauréats de l’appel à projets pour la résilience des récifs coralliens et des écosystèmes associés (ReCorEA) dans les départements et collectivités d’Outre-mer soutenu par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer et l’Office français de la biodiversité (OFB), en collaboration avec l’Initiative Française pour les Récifs Coralliens (IFRECOR).

Au niveau mondial, 45 pays viennent de s’engager à lever 12 milliards de dollars (11,3 milliards d’euros d’ici 2030) pour la conservation et la restauration des récifs coralliens.

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